Zineb Sedira assise sur un canapé

Zineb
Sedira

Zineb Sedira suit un itinéraire nourri par trois pays : la France, le pays où elle est née et a grandi, l’Algérie, le pays d’origine de ses parents, et l’Angleterre, le pays où elle vit. A l’image de son œuvre emblématique Mother Tongue, installation cinématographique créée en 2002, elle incarne dans son parcours personnel et artistique une cartographie complexe de l’Europe et de l’Afrique.

Zineb se tenant devant un mirroir

Née à Gennevilliers, Zineb Sedira y a passé une enfance marquée par le développement de sa passion pour le cinéma et par l’apprentissage de la différence culturelle, sa richesse, ses difficultés. En 1986, elle part étudier en Angleterre et y vit depuis lors. Elle y développe une œuvre autobiographique à partir du vaste patrimoine qui est le sien, autour des questions d’identité et de mémoires individuelles et collectives. En 2002, elle est invitée à titre professionnel pour la première fois en Algérie, ce qui marque une étape importante dans son travail artistique.

Depuis le début de sa carrière, elle a développé une œuvre polymorphe qui emprunte tour à tour au récit autobiographique, à la fiction et au documentaire.
Depuis plusieurs années, son œuvre s’est déplacée d’un travail mémoriel lié à son histoire familiale vers des questionnements plus universels, en élargissant la question coloniale à celle des flux économiques et humains, et plus largement à celle de la circulation des idées.

Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles, entre autres au Bildmuseet (Umeå, Suède, 2021), au SMoCA (Scottsdale Museum of Contemporary Art) (2021), au Jeu de Paume (Paris, France, 2019), etc.

Ses œuvres seront prochainement exposées au De La Warr Pavilion (Bexhill on Sea, Royaume-Uni, 2022), au Dallas Contemporary (Etats-Unis, 2022), ainsi qu’au Musée Calouste Gulbenkian (Lisbonne, 2023).

Son travail a également été montré au sein de nombreuses expositions collectives comme au MuCEM (Marseille, France, 2013 et 2016), au MAC/VAL (Vitry-sur-Seine, France, 2017), à la Tate Modern, (Londres, Royaume-Uni, 2017), au Birmingham Museum (Royaume-Uni, 2018), au Frac Centre-Val de Loire (Orléans, France, 2021- 2022), pour ne citer que quelques exemples.

Zineb Sedira est à l’origine d’aria (artist residency In algiers), une résidence d’artistes à Alger qui soutient le développement de la scène artistique contemporaine en Algérie à travers des échanges inter-culturels et des collaborations.

Zineb dans le salon
Zineb en robe bleue
Zineb en robe bleue
Zineb en robe bleue
Zineb en robe bleue
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Les commissaires

Yasmina
Reggad

Extraits choisis d’une conversation entre Yasmina Reggad et Zineb Sedira

publiée dans son intégralité dans le troisième et dernier numéro de la revue du Pavillon français Venice. Conserver, montrer, rejouer, revivifier (Avril 2022).

Yasmina Reggad : Nous avons créé aria (artist residency in algiers) en 2011. Ce fut la première de nos collaborations et elle s’est avérée un terrain fertile d’apprentissage, de découvertes et d’échanges des savoirs qui a donné naissance à une complicité singulière entre nous, portée à son apogée dix ans plus tard avec le Pavillon français. Ton œuvre fait des allers-retours entre le Royaume-Uni, la France et l’Algérie depuis deux décennies maintenant. Comment aria s’y inscrit-elle ?

Zineb Sedira : Je considère aria comme une extension de ma pratique artistique. Cette résidence d’artiste vient donner un ancrage plus permanent à mon œuvre en Algérie. C’est aussi le QG de ma famille artistique algérienne élargie. Il peut m’arriver d’inclure le projet d’un·e artiste accompagné·e par aria dans certaines de mes expositions, ou de collaborer plus directement sur le développement ou la réalisation d’œuvres. Nous verrons même certain·es de ces complices apparaître dans mon projet pour le Pavillon français.

YR : Replacer la ville d’Alger dans la cartographie des centres de production artistiques internationaux, ne serait-ce pas une tentative de recréer les conditions et proposer une traduction actuelle de l’Alger des années 70, « la Mecque des révolutionnaires » ? C’est en effet dans ce contexte de l’effervescence intellectuelle et politique des années 60 et 70 que se situe ton nouveau travail. Une époque où des militant·es du monde entier se retrouvaient en Algérie pour débattre, prolonger des fronts de lutte et inventer de nouveaux futurs. Dans cet esprit, ta nouvelle œuvre réunit tes allié·es, la famille affective et intellectuelle qui t’a accompagnée et soutenue durant toute ta carrière et qui incarne les différentes étapes depuis la recherche jusqu’à la production et l’exposition de l’œuvre finale.

ZS : Mon apprentissage de la collaboration s’est d’abord fait en famille, avec ma mère, mon père et ma fille, et s’est matérialisé dans mes premières œuvres vidéo. Ce n’est que 2006 que j’ai commencé à tourner et à voyager avec une équipe professionnelle, et à partager des moments d’échanges créatifs et de discussions politiques inoubliables, notamment en Algérie et en Mauritanie. Ma petite bande est restée la même de longues années durant, et ces amitiés sincères perdurent.
Le partage d’expériences singulières, de découvertes, d’idées me sont nécessaires pour compenser l’isolement de l’atelier et avancer. Ces alliances et cette deuxième famille sont le moteur de mon développement artistique. Il est donc naturel que mon projet se fasse l’écho de cette généalogie et que je profite de l’occasion de cette aventure vénitienne et m’entourer à nouveau d’ancien·nes collaborateur·ices et contributeur·ices.

YR : Ta passion et ton désir pour le cinéma ne deviennent visibles qu’à partir de ton exposition personnelle A Brief Moment au Jeu de Paume à Paris en 2019. Pour le Pavillon français, tu fais le choix d’aborder un grand tournant de l’histoire mondiale sous l’angle de la production culturelle, intellectuelle et d’avant-garde en te concentrant sur le 7e art et des collaborations inattendues entre la France et l’Italie avec l’Algérie, un répertoire auquel tu fais des emprunts dans ton projet. D’où te vient cette passion pour le cinéma – notamment militant, et les salles obscures ?

Quand je parle du cinéma de cette période, je parle du cinéma de mon enfance dans les années 60 et de mon père. C’est en effet avec lui que je fréquentais le cinéma Les Variétés à Gennevilliers (aujourd’hui disparu). On y voyait des films égyptiens, mais ce sont les péplums et les westerns spaghetti italiens qui m’ont le plus marquée. Gennevilliers est une étape importante dans la réalisation de ce projet, et c’est dans le cinéma Jean Vigo que j’ai récemment filmé mes parents.

Plus tard, quand j’ai visité les archives de la Cinémathèque algérienne pour la première fois en 2017, j’ai découvert le riche patrimoine cinématographique de ce pays, trop peu (re)connu dans l’histoire des avant-gardes du medium. Le cinéma développé postindépendance adhérait aux valeurs et à l’esthétique tiers-mondistes, une véritable révolution sur grand écran. Je me suis sentie proche de ce courant militant et anticolonial inspiré du modèle cubain et qui témoigne du courage politique de certain·es réalisateur·ices. Dans mon nouveau projet, il était important pour moi de rappeler qu’en France et surtout en Italie, des réalisateur·ices (co-)produisaient des films qui soutenaient et portaient les idées développées dans le Tiers-Monde. Je considère donc ces co-productions comme l’une des manifestations importantes de la solidarité prônée à cette époque et que je tente de réactiver aujourd’hui.

Sam Bardaouil
et Till Fellrath

Quelques mots sur l’itinéraire de Zineb Sedira vu par Sam Bardaouil et Till Fellrath

Depuis plus de deux décennies, Zineb Sedira recourt à la photographie et au cinéma en les déployant sous toutes leurs formes, pour explorer les traces d’un certain nombre d’histoires controversées qui hantent encore l’époque actuelle. Nous avons découvert le travail de Zineb en 2008, dans des circonstances important moins que l’œuvre que nous avons vue. Cette pièce iconique, The Lovers (2008), est l’image obsédante de deux carcasses de bateaux encore à flot qui, tels deux êtres humains, s’appuient l’un sur l’autre : un couple brisé par le temps qui passe et par la force érosive d’une mer implacable. Zineb a réalisé cette photographie lors d’une expédition sur les côtes de la Mauritanie, une zone géographique marquée par les départs quotidiens, mais aussi par les retours macabres des corps de jeunes Africains partis pour l’Europe. À travers cette représentation d’une histoire douloureuse, cette œuvre nous oblige à prendre acte des réalités urgentes d’une crise en cours.

L’urgence et l’humanité indéfectible avec lesquelles Zineb Sedira s’est emparée de son sujet nous sont d’emblée apparues comme le signe que, tôt ou tard, nos chemins allaient se croiser et que nous allions travailler ensemble. C’est ce qui s’est produit deux ans plus tard avec The End of the Road (2010), une pièce initialement commandée pour Told – Untold – Retold, l’exposition inaugurale d’art contemporain du Mathaf, le Musée arabe d’art moderne de Doha. Des images photographiques de vieilles voitures cassées, encadrées dans des caissons lumineux de différents formats – un dispositif typique de Zineb –, accompagnent un diptyque vidéo qui nous montre l’anéantissement des automobiles, inexorablement avalées par une machine à broyer. La narration en voix off, assurée par l’artiste, évoque les détritus de la mondialisation, combinant le personnel et l’universel au sein d’une œuvre à la fois politique et visuelle.
Dès lors, nos collaborations avec Zineb ont revêtu plusieurs formes, le film prenant une place toujours plus importante dans sa pratique aux multiples facettes. La superposition d’histoires, d’objets et de lieux issus de longues périodes de recherches archivistiques et de réflexion créative est au cœur de son travail. Avec la précision d’une archéologue et la curiosité d’une détective, elle met au jour les vestiges de plusieurs luttes historiques pour déterminer les contours de notre présent. Nourrie par l’expérience de sa famille émigrée d’Algérie en France, par son enfance à Paris et son installation en Angleterre en 1986, elle conjugue le personnel et le collectif, l’action et l’immobilité, la fiction et la réalité, à travers une lecture critique des annales de l’Histoire. En abordant un certain nombre de questions brûlantes, allant des héritages coloniaux aux débats actuels sur l’intégration, la mobilité et la mondialisation, Zineb ne craint pas de se confronter aux tensions d’un présent éminemment politique, même si son regard est aussi tourné vers un avenir aux possibilités infinies.

Dans la continuité des grands axes développés dans sa pratique, Zineb a imaginé une installation immersive qui transformera l’intégralité de l’espace du Pavillon français. Elle recourt aux modalités et aux outils du cinéma pour créer un environnement où s’estompent les lignes de faille distinguant le passé du présent. S’appuyant sur des films significatifs issus du répertoire éclectique du cinéma des années 1960, notamment le volet militant où la production cinématographique en Algérie a joué un rôle central, Zineb en revisite différentes scènes pour reformuler une multitude de récits qui ont longtemps été associés au discours entourant la décolonisation et ses diverses stratégies. Dans cet univers mis en scène, Zineb conçoit l’architecture du Pavillon comme une extension de l’image projetée. Elle confronte la fiabilité souvent contestée des archives aux ressources illimitées de la narration, afin de scruter les imbrications du cinéma et de la politique.

Alors que les sociétés du monde entier subissent les répercussions de luttes politiques et historiques souvent les séquelles d’héritages contestés, Zineb envisage son projet pour le Pavillon français comme un hommage aux individus et aux communautés qui ont utilisé le potentiel du cinéma pour mettre en évidence le joug de la colonisation. Son exposition est une invitation à reconnaître ces jalons cinématographiques, pour certains restés dans l’ombre pendant plusieurs décennies. Mais elle a également valeur d’avertissement face à la promesse d’émancipation qui est demeurée pour nombre d’individus un rêve non réalisé. C’est dans cet entre-deux fluctuant, entre gains et pertes, accomplissement et défaite, que le Pavillon imaginé par Zineb existe, disparaît et résiste…

Quelques mots sur l’itinéraire de Zineb Sedira vu par Sam Bardaouil et Till Fellrath

Depuis plus de deux décennies, Zineb Sedira recourt à la photographie et au cinéma en les déployant sous toutes leurs formes, pour explorer les traces d’un certain nombre d’histoires controversées qui hantent encore l’époque actuelle. Nous avons découvert le travail de Zineb en 2008, dans des circonstances important moins que l’œuvre que nous avons vue. Cette pièce iconique, The Lovers (2008), est l’image obsédante de deux carcasses de bateaux encore à flot qui, tels deux êtres humains, s’appuient l’un sur l’autre : un couple brisé par le temps qui passe et par la force érosive d’une mer implacable. Zineb a réalisé cette photographie lors d’une expédition sur les côtes de la Mauritanie, une zone géographique marquée par les départs quotidiens, mais aussi par les retours macabres des corps de jeunes Africains partis pour l’Europe. À travers cette représentation d’une histoire douloureuse, cette œuvre nous oblige à prendre acte des réalités urgentes d’une crise en cours.

L’urgence et l’humanité indéfectible avec lesquelles Zineb Sedira s’est emparée de son sujet nous sont d’emblée apparues comme le signe que, tôt ou tard, nos chemins allaient se croiser et que nous allions travailler ensemble. C’est ce qui s’est produit deux ans plus tard avec The End of the Road (2010), une pièce initialement commandée pour Told – Untold – Retold, l’exposition inaugurale d’art contemporain du Mathaf, le Musée arabe d’art moderne de Doha. Des images photographiques de vieilles voitures cassées, encadrées dans des caissons lumineux de différents formats – un dispositif typique de Zineb –, accompagnent un diptyque vidéo qui nous montre l’anéantissement des automobiles, inexorablement avalées par une machine à broyer. La narration en voix off, assurée par l’artiste, évoque les détritus de la mondialisation, combinant le personnel et l’universel au sein d’une œuvre à la fois politique et visuelle.
Dès lors, nos collaborations avec Zineb ont revêtu plusieurs formes, le film prenant une place toujours plus importante dans sa pratique aux multiples facettes. La superposition d’histoires, d’objets et de lieux issus de longues périodes de recherches archivistiques et de réflexion créative est au cœur de son travail. Avec la précision d’une archéologue et la curiosité d’une détective, elle met au jour les vestiges de plusieurs luttes historiques pour déterminer les contours de notre présent. Nourrie par l’expérience de sa famille émigrée d’Algérie en France, par son enfance à Paris et son installation en Angleterre en 1986, elle conjugue le personnel et le collectif, l’action et l’immobilité, la fiction et la réalité, à travers une lecture critique des annales de l’Histoire. En abordant un certain nombre de questions brûlantes, allant des héritages coloniaux aux débats actuels sur l’intégration, la mobilité et la mondialisation, Zineb ne craint pas de se confronter aux tensions d’un présent éminemment politique, même si son regard est aussi tourné vers un avenir aux possibilités infinies.

Dans la continuité des grands axes développés dans sa pratique, Zineb a imaginé une installation immersive qui transformera l’intégralité de l’espace du Pavillon français. Elle recourt aux modalités et aux outils du cinéma pour créer un environnement où s’estompent les lignes de faille distinguant le passé du présent. S’appuyant sur des films significatifs issus du répertoire éclectique du cinéma des années 1960, notamment le volet militant où la production cinématographique en Algérie a joué un rôle central, Zineb en revisite différentes scènes pour reformuler une multitude de récits qui ont longtemps été associés au discours entourant la décolonisation et ses diverses stratégies. Dans cet univers mis en scène, Zineb conçoit l’architecture du Pavillon comme une extension de l’image projetée. Elle confronte la fiabilité souvent contestée des archives aux ressources illimitées de la narration, afin de scruter les imbrications du cinéma et de la politique.

Alors que les sociétés du monde entier subissent les répercussions de luttes politiques et historiques souvent les séquelles d’héritages contestés, Zineb envisage son projet pour le Pavillon français comme un hommage aux individus et aux communautés qui ont utilisé le potentiel du cinéma pour mettre en évidence le joug de la colonisation. Son exposition est une invitation à reconnaître ces jalons cinématographiques, pour certains restés dans l’ombre pendant plusieurs décennies. Mais elle a également valeur d’avertissement face à la promesse d’émancipation qui est demeurée pour nombre d’individus un rêve non réalisé. C’est dans cet entre-deux fluctuant, entre gains et pertes, accomplissement et défaite, que le Pavillon imaginé par Zineb existe, disparaît et résiste…

Sam Bardaouil
et Till Fellrath

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